Roger Roustouil (1921-2004)

mercredi 20 février 2013

Président d’Honneur d’ALLO puis d’APOLLO dont il avait tenu à honorer de sa présence la première rencontre à Portet-sur-Garonne en 2002, Roger Roustouil nous a quittés le 5 mai 2004. Lors de ses obsèques à Aix-en-Provence, il a reçu deux vibrants hommages, l’un de M. Jullian, ancien du CREPS de cette même ville, et l’autre de son petit-fils Laurent. Il est inhumé dans le caveau familial à Parcieux (Ain) où se trouvaient déjà son épouse Raymonde et son petit-fils Louis décédé accidentellement à l’âge de 16 ans

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Allocution prononcée par M.Jullian, ancien du CREPS d’Aix-en -Provence, dans l’église le jour des obsèques de M.Roustouil

Roger ROUSTOUIL

Tu es né en 1921 à Affreville, en Algérie, tu es un pied-noir. Tu es un pied-noir de souche : la famille ROUSTOUIL, partie du Languedoc, s’est installée vers 1850 en Algérie.

Tu as fait tes études secondaires au Lycée Lamoricière d’Oran et passé le BAC en 1939. Pendant 2 ans, tu as rempli les fonctions d’instituteur intérimaire et en 1941 tu as rejoint le continent où, au Centre Sportif du Fort Carré d’Antibes, tu as préparé le concours d’entrée à l’Ecole Normale Supérieure d’Education Physique et Sportive, l’ENSEPS. Ayant réussi au concours, tu es entré à l’ENSEPS en octobre 1942.
Après une année d’études, tu décides en juillet 1943 de rejoindre les Forces Françaises Libres. Il faut pour cela franchir les Pyrénées et rejoindre le Maroc en traversant l’Espagne. Bien qu’ayant fait appel aux services d’un passeur, tu es arrêté par la police espagnole et incarcéré dans la prison de Pampelune. Au bout d’un mois tu es transféré à Miranda del Oro. Ce nom aguicheur est celui d’un camp d’internement. Tu vas y passer 4 mois et deux souvenirs marquants te restent de ce séjour :
- un livre qui, pendant cette période sera ton seul trait d’union avec la France et la langue française : « Introduction à la philosophie » de René Le Senne .
- autre souvenir beaucoup plus trivial : le combat quotidien que tu as mené contre les poux .
En novembre, la police espagnole te libère et tu peux passer au Maroc pour t’engager dans les Forces Françaises libres. Affecté à l’armée de l’air, tu es envoyé en avril 1944 aux Etats-Unis où tu vas poursuivre une formation de navigateur aérien.Tu garderas le merveilleux souvenir de familles américaines qui ont accueilli à bras ouverts le petit Français que tu étais .
Ta vie n’a pas été un long fleuve tranquille .
Il y a eu le déchirement d’avoir à quitter ta terre natale.
Il y a eu le drame de l’accident mortel d’un petit-fils que tu chérissais.
Il y a eu la maladie prématurée de ton épouse, Raymonde, que tu as entourée de tes soins et de ton amour .
Il y a quelques siècles, on aurait dit de toi, que tu étais un « honnête homme » .
Tu as été beaucoup plus . Un homme engagé, un homme responsable, un homme modeste. Et par-dessus tout, par l’amour que tu as porté aux tiens et l’attention qui a été la tienne pour tous ceux qui t’ont entouré .
Tu as été un homme bon .
Adieu Roger ROUSTOUIL .

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Laurent, petit-fils de M. Roger Roustouil, au cimetière

« Il est difficile de ramener à quelques images la vie et la personnalité de Grand-Père . Pour lui, que nous accompagnons aujourd’hui aux côtés de mamie Raymonde et de Louis , j’ai souhaité vous livrer quelques mots, aussi simples que possible , pour que nous nous rappelions ensemble les moments précieux partagés avec Roger, avec Grand-Père .
Il était un grand gourmand de vie .
Il était gourmand de vie comme il était gourmand de chocolat .
Il était gourmand de vie parce qu’il était gourmand des autres .
Je me souviens de sa façon de raconter Camus, non pas l’écrivain, mais le danseur de Saint- Germain des Prés .
Je me souviens de sa façon d’écouter, intense, attentive, réfléchie, compréhensive.
Je me souviens de ses récits de voyages, de campements en montagne, de ses stages de plein air, où ses élèves, ses collègues, l’auraient suivi au bout du monde, car il était bon camarade, et n’aimait pas Georges Brassens pour rien.
Je me souviens de son amour de la discussion, des échanges, de nos débats interminables, de cette façon qu’il avait de renvoyer si bien la balle, quand nous parlions, que nous avions tous l’impression d’être meilleurs, d’être quelqu’un auprès de lui .
Il aimait la vie en large, la vie en pleine nature. Il était gourmand de soleil, de grands espaces, de montagne. Son rêve, me disait Jacqueline ce matin, c’était d’aller faire du ski de fond sur le lac Baïkal ! Cela en dit long sur lui, sur la dimension de ses rêves …
Je me souviens qu’il me racontait sa façon de patienter, pendant la guerre, dans le camp où il était prisonnier. Il lisait Le Senne, son professeur de philosophie. Mais il lisait Le Senne torse nu, en plein soleil, jusqu’à l’ivresse ! Et cela me rappelait encore Camus, ce qu’il aimait dans "l’Etranger", l’évocation du soleil, l’évocation de ses sensations tenaces, de son Algérie heureuse .
Ce goût qu’il avait des choses, et des autres, il les transmettait par son sourire .
Je n’ai jamais vu sourire plus doux .
C’était un sourire d’une infinie gentillesse, comme lui, qui vous mettait en confiance, à l’aise .
On dit qu’il pouvait être sévère. Je ne l’ai jamais vu ainsi .
Je me souviens surtout de sa tolérance avec nous tous, de sa façon de rire à nos bêtises, à nos clowneries .
Celles de Louis, quand il avait décidé de l’habiller en biker, avec lunettes noires, blouson de jean et bandanas .
Celles de Jacqueline, quand elle voulait lui mettre un chapeau un peu ridicule ou des couettes…
Celles de papa, quand il chantait, l’été, des hymnes footballistiques oranais …
Et grâce à toute cette vie, grâce à toute cette gentillesse, il était aussi un grand charmeur.
Nous le taquinions souvent sur ses aventures américaines, quand il nous montrait, non sans fierté, ses photos de « french officer » à la table d’accortes jeunes filles.
Nous le taquinions aussi sur sa propension à toujours créer des liens avec les caissières de Géant casino, le temps de payer, le temps surtout pour lui, de les sortir de leur routine, de leur faire lever la tête pour leur dire une gentillesse, leur arracher un sourire, ce qu’il arrivait toujours à faire .
De toute cette générosité, parce que je crois que c’est un mot qui le caractérise bien, de toute cette envie de vivre, cette gentillesse, cette patience, il en a retiré une mission, un plaisir, celui d’enseigner, et l’enseignement était au cœur de sa vie, de sa vie professionnelle mais aussi de sa vie personnelle .
Il nous a appris à tous la curiosité intellectuelle, cette façon de toujours s’émerveiller du monde, de chercher pourquoi quand on savait comment, et de chercher comment quand on ne comprenait pas .
Il lisait énormément, et mettait en fiche, écrivait les bribes de savoir auxquels il tenait.
Il nous a appris à tous aussi le goût de l’effort physique .
Il aimait courir, et je me souviens de nos footing au Montégué .
Il aimait marcher, et il nous a fait découvrir la plus belle des montagnes, celle de Cézanne, la Sainte Victoire .
Il aimait nager, et nous le revoyons bien sûr, aux Lecques, ou à Ventabren, dans la piscine, en train de nager ce crawl qu’il maîtrisait si bien, avec son style si particulier .
Il aimait le combat, celui des mots comme celui des judokas, et dans les deux domaines, il se livrait à fond, mais dans le respect des règles du jeu, en évitant toujours de blesser l’adversaire.
Il aimait le football aussi bien sûr. Je me souviens du CREPS, où avec Louis, avec Jules, nous attendions des heures que le directeur veuille bien descendre pour nous donner la leçon de foot ! Et il descendait, et nous avions notre leçon de foot, de la conduite de balle à l’art de la frapper de l’intérieur, de l’extérieur ou du plat du pied !
Transmettre ses passions, voilà ce qui le guidait. Qu’il s’agisse de livre, de grands auteurs, d’histoires édifiantes, de gestes sportifs, il aimait transmettre, et mettre les autres sur leur propre chemin de vie .
Il avait un talent particulier pour nous rendre meilleurs .
Parce qu’il croyait en l’homme et qu’il aimait les étoiles .
Je n’ai compris que très récemment le plaisir qu’il trouvait à contempler les ciels d’été, et pourquoi il mettait tant de ferveur à savoir, et à nous faire savoir, où était la Grande Ourse ou l’Etoile du Berger .
Je me disais que cela avait quelque chose à voir avec son côté poète, son côté rêveur.
J’ai compris il y a deux jours, en écoutant cette chanson qu’il aimait tant, de Jean Roger Caussimon .
Je veux vous en lire quelques mots. Imaginez qu’ils sont ceux de Grand-Père et gardez en vous cette image …

« Mais un jour,
Malgré le bois, malgré la pierre,
Il y aura de moi un reste de poussière,
Ne serait-ce qu’un petit grain,
Que le vent prendra dans sa ronde,
Je ferai le tour du monde,
Je volerai dans les rayons de lune ,
Et cela ne finira jamais,
Parce qu’un seul grain de poussière,
C’est indivisible, immortel,
Et vous, mon Dieu, qui m’entendez ,
Faites que ce petit grain de moi,
Ce rien de poussière perdue ,
Puisse se souvenir du garçon que je fus,
Qui venait dire simplement,
Il y a de bien belles nuits. »


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